C’était une nuit ordinaire en famille : calme et fraîche. Nous nous rassemblions mes frères et moi au centre de notre case. Nous attendions le repas du soir. Maman, comme d’habitude s’occupait de préparer la natte sur laquelle elle déposait le plat de la soirée. Nous attendions que tout soit prêt avant de manger.
Maman après avoir fini de dresser le couvert nous faisait signe de nous rapprocher. Je pris alors la lampe à huile qui était à côté de moi et me rapprochais près d’elle pour illuminer notre repas. C’est alors que je vis son visage, elle, la femme qui m’a mis au monde. Elle fronçait les sourcils et esquivait mon regard. Par moment elle levait la tête et regardait papa pour ensuite me regarder.
Je crois que c’est de la tristesse que j’ai vu dans son regard cette nuit-là. Oui je l’ai ressenti jusque dans les profondeurs de mon âme…
Dans mes souvenirs, je n’avais jamais vu ma mère aussi triste. C’est aujourd’hui que je me rends compte, car avec l’expérience de l’âge, je sais maintenant faire la distinction entre les émotions négatives.
Cette nuit-là, je me demandais ce qui n’allait pas sur le visage de maman, son front se plissait à chaque fois qu’elle me regardait ou regardait mon père. Qu’est-ce qui n’allait pas ce soir, pourquoi ses yeux étaient-ils mouillés ?
Nous mangeâmes dans le silence et bientôt mes yeux commencèrent de s’alourdir puis je sombrais dans le sommeil.
Je ne devais pas avoir dormi longtemps quand je fus réveillée par des bruits qui provenaient du dehors. Un groupe de femmes chantaient au rythme des claquements de mains. Je me suis mise debout et je m’avançais vers l’extérieur pour savoir exactement qu’est-ce qui se passait.
Je m’inquiétais, car c’était la première fois de voir autant de femme chanter tard la nuit en dehors des fêtes. Je me levais et je sortais. Des femmes en boubous blancs se tenaient à côté de jeunes filles qui avaient à peu près mon âge. Morte de peur, j’ai cherché la seule personne au monde qui pourrait me rassurer en de pareilles situations. Puis j’ai crié : « mama ! »

C’est cette nuit-là qu’elles m’ont volé mon enfance, c’est cette nuit-là que j’ai été excisée !